Livres-Hebdo (Nov 2010)

NOURRICIERE
Epicurienne nomade, Chantal Pelletier cuisine un roman hommage au plaisir de nourrir. Chez Chantal Pelletier,
romancière qui, dans l"une de ses vies, fut une comédienne de café-théâtre à succès, le mariage de la littérature et de
la nourriture, l'association des mots et des mets, est une vieille histoire. Elle avait ainsi imaginé il y a trois ans chez Nil
Éditions "Exquis d'écrivains", une collection dans laquelle elle a écrit Voyages en gourmandise, son autoportrait en
gastronome nomade. De bouche à bouches croise
une nouvelle fois deux de ses anciennes et vitales passions :
la cuisine et le voyage.
Son héroïne, la narratrice, est une photographe de 33 ans,
célibataire et sans enfants, à la notoriété naissante et polémique.
Occupée surtout d'elle-même et coachée par un père collection-
neur d'art, elle devient agueusique à la suite d'un accident de
voiture. Et perdant le goût des aliments, elle perd aussi
celui de vivre. Devenue "bouche morte"-"j'avais un trou
derrière les lèvres"
, elle se retrouve livrée à la cuisine de son
géniteur dont l'amour prend la forme d'un gavage oppressant.

TRILOGIE
La visite, Paradis andalous et De bouche à bouches
constituent une trilogie. Dans ces textes, trois femmes
de moins de quarante ans et "sans nom" conduisent
le récit écrit à la première personne. Enfermées dans
la solitude et des histoires familiales étouffantes, elles
affrontent le deuil dans une désorientation marquée du
temps et de l'espace et sortent de leur ressassement et
de leur égoïsme pour aller vers l'amour. Trois portraits
contemporains de femmes qui s'ouvrent aux autres et
trouvent leur chemin au milieu d'un monde en désordre.

A tous, y compris à son presque frère, Cyl, avec qui elle a conclu un pacte sanctionnant toutes jérémiades d'une amende
à régler sur le champ, elle cache son invalidité. "Goût de rien bonne à rien", elle choisit de s'enfuir, entamant un tour
du monde initiatique à la recherche du goût perdu. Suisse, Inde, Italie, Japon, elle traversedes contrées aux gastronomies
contrastées. Se désespère, grossit, s'intoxique quand "parfois (son) nez se révèle mauvais flic".
Car, par chance, il lui reste le nez et les yeux grâce auxquels
elle parvient à protéger son secret et qui compensent tant bien
que mal la frigidité de ses papilles quand elle entreprend de
cuisiner pour les autres. Ainsi, comme dans une sorte de compa-
gnonnage, elle apprend auprès de maitres de cet art modeste,
Madhu et sa femme Purnima, les premiers qui lui enseignent les
bases de la cuisine végétarienne indienne. Et c'est une révélation :
la découverte que nourrir est aussi bon que se nourrir.
"La satisfaction de fabriquer un plaisir que ma bouche ignorait

LE TITRE
De bouche à bouches évoque le "bouche à bouche"
pratiqué pour sauver quelqu'un de l'asphyxie.
Il exprime aussi la thématique du livre où toutes les
relations familiales et amoureuses passent par l'aliment.
Enfin, il rappelle le baiser primordial de la mère
mâchant la nourriture pour la donner à l'enfant
"de bouche à bouche" : nourrir est l'élément vital
de l'amour et de toute relation humaine.

valait presque celle que j'avais eue jadis à savourer". La nostalgie du palais perdu se mue en véritable expérience
mystique quand l'apprentie cuisinière rencontre Pol, un adolescent diabétique. Auprès de ce gastronome en herbe,
la préparation des repas devient à la fois jeu et parade amoureuse, forte et chaste. Nourrir ce garçon et par la suite
d'autres hommes désirés lui procure une forme d'extase d'une nature proche de celle décrite par Thérèse d'Avila dont
les textes sur l'amour de Dieu, vécu dans la chair, légendaient les
photos de l'héroïne. "Nous ne sommes pas des anges, nous
avons un corps"
. Dédié à un de ses mentors en cuisine, le chef
Olivier Roellinger, le roman gourmand de Chantal Pelletier,
jouisseuse sensuelle et crue, ouvre sur toutes les cuisines du
monde, roule les mots dans toutes les sauces, se délectant de
leur saveur, sans fournir d'autres recettes que celles qui ouvrent
l'appétit de vivre. Véronique ROSSIGNOL

RESUME
Sensuel et cru, un roman qui rend hommage au plaisir
de nourrir.Après avoir perdu le goût dans un accident,
une jeune photographe abandonne tous ses repères
pour fuir au bout du monde. S'initiant aux rudiments
de la cuisine tout en cachant son infirmité, elleéprouve
peu à peu, en nourrissant les autres, un bonheur plus
grand que tous les plaisirs gustatifs.