MINITEL DE TOI
LES PERSONNAGES
JEANNE
Elle
a 40 ans. Mince, musclée, bronzée, c'est une belle plante.
Végétarienne,
elle ne fume pas, ne boit pas. Ecolo, elle est passionnée de
diététique,
de médecines douces, de lutte contre le gaspillage, et mange
"bio".
Elle n'a pas d'enfant, n'en aura pas. Elle aime les fruits, les
légumes,
les beaux mecs, déteste obsessionnellement les chiens, la foule,
les flics, le bruit.
Elle ne supporte pas l'odeur du tabac et les mauvaises odeurs en
général.
Elle
a été mariée, a eu plusieurs liaisons et beaucoup d'amants.
Quand elle a eu 33 ans, l'âge du Christ à sa mort, elle a
décidé de changer
complètement de vie, de ne plus travailler, de se passer des
hommes
et de ne plus sortir de chez elle. Elle a tenue parole et n'a pas
mis
le nez dehors depuis 7 ans. Cette retraite, au fond, lui convient
bien.
Elle croit être plus libre comme ça, être moins en prison ici
que dehors.
C'est en restant dedans qu'elle parvient à être "en
dehors" de la folie générale.
Du
dehors, au fond, rien ne lui manque puisqu'elle voit
régulièrement
quelques copains. Jeanne est fan du minitel qu'elle utilise pour
ses courses, les journaux et pour avoir des conversations avec
des gens
étonnants et marrants. Ermite on ne peut plus branché sur le
monde
extérieur par les différents moyens de télécommunication,
elle est en fait une carmélite chaste et solitaire version
années 90.
TRISTAN
35
ans. Bien bâti. Beau, grand, musclé. Il déteste l'eau, la
campagne,
l'effort, les légumes, les voyages, les babas cool. Il aime les
côtes à l'os,
la bavette à l'échalote, le steak tartare, l'ail, le champagne,
la rue, les bistrots,
le rock, les boîtes. Il adore danser. Il aurait aimé chanter.
Il est passionné
de publicité, parle beaucoup en terme de "marques" et
de slogans.
Il
boit, fume. Sa constitution robuste lui permet de bien résister
aux excès
de sa vie de noctambule. Il a une "grosse santé", fait
de la gym, du karaté,
de la natation. Il vit d'expédients ou de jobs vite expédiés.
Il n'a jamais
payé d'impôts, ni de loyer, ni de cotisations à la Sécurité
sociale.
Il
n'a aucun sens de la famille, et ironie du sort, il se retrouve
grand-père à 35 ans ! Mais il ne s'occupera pas davantage
de son petit-fils que de sa fille, qu'il a vue trois fois dans sa
vie.
Il
déteste toute forme d'organisation. Il aime bien l'humour noir.
Il ne lit aucun journal, est tout à fait débranché de la
planète,
se fout complètement de ce qui se passe dans le monde,
dont les nouvelles lui parviennent à travers les conversations
de bistrot.
Il n'a jamais eu de "chez lui".
Depuis
un an, il dort dans un club de remise en forme, n'a pas
d'affaires, sauf une malle chez sa mère et un sac qu'il dépose
parfois
chez un copain et le plus souvent dans les consignes de gares.
Il vit exclusivement la nuit, dort le jour, en général dans les
salles
de repos d'un des trois clubs du réseau auquel il est abonné,
parfois au ciné, de temps à autre chez une fille.
"Sans
toit ni loi", c'est un "routard" de ville.
L'HISTOIRE
Au
coin de l'écran, l'aventure? Sous le clavier, la plage?
Un homme et une femme se sont rencontrés dans une messagerie du
minitel
un après-midi où "il fallait vraiment que quelque chose se
passe".
Par écran interposé, ils se sont amusés, étonnés.
A
tel point que Jeanne a décidé de "faire une connerie"
:
donner son adresse à ce type !... Ça la dégoûtera peut-être
de ce joujou
auquel elle se sent "accro", sur lequel elle pianote
tous les jours
et pour lequel elle dépense trop d'argent. Elle s'en veut, bien
sûr,
d'avoir fait cette bêtise, ce pauvre type doit être une
catastrophe !
Zorro arrive pourtant, avec le champagne et cadeaux !
Il
s'agit d'une première rencontre, née d'un caprice,
pour l'un comme pour l'autre. Ils n'envisagent absolument pas de
"construire",
ne tiennent pas vraiment à se connaître. Vaniteux,
égocentriques,
ils songent davantage à briller qu'à communiquer.
Ils veulent à tout prix casser leurs bons mots, leurs arguments
et leur vision
du monde. Ils se coupent sans cesse la parole et ne savent pas
écouter.
Malgré
leurs propos délurés, ils sont prudes et se refont le coup
de Tristan et Yseult, l'épée qui les sépare étant leur
trouille de la normalité.
Sur le fil de cette épée, il est plus commode de se faire rire
que de se faire jouir.
Ils profitent donc de leurs dernières rigolades.
S'affronter pour se séduire est drôle, s'aimer l'est beaucoup
moins.
Autant ne pas embêter le spectateur avec ça.
Ils
se doutent bien qu'être minitels l'un et l'autre leur vaudra
beaucoup de minitels, sans aucun minitel, et que l'amour est
enfant de salaud.
Mais la pâmoison ne se commande pas...
Ils se montrent, se racontent, s'agressent, mais le rire les rapproche.
En 87, on ne dit plus "je t'aime", mais "JE SUIS MINITEL DE TOI".