LIBÉRATION
DES ECRIVAINS Par CHANTAL PELLETIER
Dans
Libération des écrivains du 21 mars 2013.
Rubrique VOUS. Ah, si javais des Millions !
Après les
drames et autres méchantes affaires décortiqués au
comité de rédaction, on ma envoyée promener,
y en a qui ont de la chance. Architectures
domestiques, titre lexpo qui présente une
vingtaine duvres de designers dhier,
daujourdhui, en somme de demain. Le beau ne
vieillit pas, cest connu, sauf bipèdes mammifères
et autres frangines bestioles.
Les beaux objets, eux, ont une âme. Ils font beaucoup
plus que leur temps, et pourtant ils le marquent, les
veinards.
Amateurs de
spectaculaire, passez votre chemin, ici, on
sacharne davantage à effacer lobjet
quà le monter en épingle.
Notons dabord, exemplaire et idéale pour ce Libé
des écrivains, la bibliothèque (créée en
2006, photo) de Philippe Million
joliment déguisée en squelette de radiateur. Posée par
terre, penchée contre le mur auquel elle saccroche
sans traces,
elle disparaît devant les livres, leur offre une
lévitation élégamment inclinée et prie pour une
multiplication des ouvrages de poche
(vive la littérature, donc, jen profite pour le
dire !). Lobjet-meuble en question est un miracle
qui nous ferait croire que
nous sommes encore au siècle dernier. Etonnant, ce
Million. Plombier-chauffagiste daprès la galeriste
qui nous reçoit,
cet artiste, contrairement à ce que laisserait espérer
son nom, ne produit pas ses uvres
par
millions.
Unique ou à la douzaine, cest bien peu. On
préférerait voir reproduite généreusement sa Patère (2008),
petit parallélépipède coloré qui cache son jeu
derrière un miroir et quon prendrait pour une
boîte doffrandes.
Le bonhomme na pas de fuite dans les idées et ses
déclarations ont la rigueur du fil à plomb :
«Il sagit surtout de susciter une pause,
dappeler à la contemplation plutôt quà la
consommation.»
On se contentera en effet, ce qui est beaucoup, de
rêvasser, sauf grosse erreur de la banque en notre
faveur.
Car si lentrée des galeries est gratuite, on ne le
dira jamais assez (allons-y gaiement !), acquérir, en
revanche
Mais tant pis, profitons.
Sous les
minimales appliques-volets de Charlotte Perriand, on
sassoit sur cette sculpture en marbre
de Pierre Charpin (Stump, 2009) qui nous
tend son marbre gris. Erreur, cest une table
dappoint et de poids,
quon ne déplace en aucun cas, tant mieux, elle est
prévue pour ne pas lasser.
Quant au Mirror Mirror de Jasper
Morisson, on ne va pas lui gâcher lévidence en y
reluquant nos grimaces multipliées.
Lobjet se marre tout seul. On ne chantera pas non
plus My Dear Valentine devant la machine à
écrire (1969)
dEttore Sottsass qui porte ce doux prénom.
«Cest beau, on se casse», disait
lami Colucci, et on prend la photo du vieillot
clavier rouge avec son smart
en se disant que cest tout de même une chance
quand le présent ne nous amourache pas du passé.
On se pose
alors sur le rigolo Petit pouf (2011)
de Frank Willems et on appelle la rédaction :
il paraît que les mauvaises nouvelles se bousculent.
Cest la fin de la récré. A prescrire.
(1) Galerie
Alain Gutharc, Paris, jusquau 30 mars. Rens. :
Alaingutharc.com.
Rubrique
CULTURE. La dispute roumaine.
Le Premier
ministre roumain, Victor Ponta, ne se rendra pas ce
week-end au Salon du livre de Paris,
accusant ses adversaires politiques«de laver
leur linge devant le public européen».
Sa décision est prise après le boycott de
plusieurs intellectuels dont lécrivain Mircea
Cartarescu (Libération du 15 mars),
auteur roumain le plus traduit, qui voulait marquer
son désaccord avec la politique de lInstitut
culturel
et ne pas côtoyer son Premier ministre dont, avait-il
déclaré, «la culpabilité morale entachera
irrémédiablement
le visage de la culture roumaine».
Les nombreux auteurs roumains sagement assis devant
leurs piles
de livres Porte de Versailles compteront les pas qui,
entre les livres et la politique, séparent linge
sale et bon ménage.
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